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Kiki consomme le moins ? – Episode #1 : la carotte
Comment réduire sa consommation d’énergie ? En prenant les transports en commun. En se chauffant de façon raisonnable... Tout cela concerne notre consommation directe. Et c’est un bon début. Mais notre consommation d’énergie ne s’arrête pas là… Il existe une consommation secondaire, cachée. Sournoise. C’est la consommation indirecte. Car, avant même d’arriver dans nos mains, tous les produits que nous achetons possèdent une facture énergétique. Car il a fallu de l’énergie pour les fabriquer. Les transporter. Les stocker. Et cetera. Cette consommation indirecte, nous allons l’explorer dans une série d’article : “Kiki consomme le moins ?” Notre but sera de découvrir, au delà des idées reçues, les types de produits qu’il faut privilégier, et ceux qu’il faut éviter. Ce mois-ci, premier épisode avec les produits alimentaires issus de l’agriculture : fruits, légumes, fromages, viandes… Car on y pense peu, mais même une carotte, ça consomme. Certaines moins que d’autres. Alors, voici quelques repères pour mieux faire vos courses !
L’agriculture en France : faisons le bilan énergétique
L’agriculture française consomme essentiellement son énergie sous forme de pétrole : les machines et les tracteurs sont les premiers postes de dépense. Viennent ensuite le chauffage des serres et des bâtiments pour le bétail.
De tous les secteurs économiques, l’agriculture est celui qui consomme le moins ; elle compte pour 3% de la demande en France, derrière le secteur tertiaire (15,7%), l’industrie (20%), le résidentiel (26%) et les transports (30%). Oui, sauf que… Tous nos aliments passent par le secteur des transports, parfois celui de l’industrie (transformation, conditionnement), et finissent par être cuisinés dans le secteur résidentiel… D’emblée, le problème s’avère compliqué !
Les choses se complexifient encore plus quand on sait que la France importe énormément de denrées alimentaires. Environ 20% de notre alimentation vient de pays étrangers ; pour les fruits et légumes, la part monte à 40%. Le coût énergétique des ces produits est plus difficile à mesurer. D’abord parce qu’il faut ajouter le coût du transport et du stockage, ensuite parce que les normes et les façons de travailler sont très variables d’un pays à l’autre… Au point de réserver quelques surprises assez contre-intuitives, que nous évoquerons plus loin dans cet article.
Bon. Vous trouvez cela compliqué ? Ce n’est que le début. Maintenant, les choses vont devenir vraiment vertigineuses… En effet, comme tout le monde, les agriculteurs consomment de l’énergie de manière directe (surtout du pétrole, nous l’avons dit), mais aussi de manière indirecte, c’est la consommation secondaire. Car eux aussi vont acheter des produits : de l’alimentation pour les animaux (par exemple du soja fait au Brésil), des engrais et des pesticides chimiques, et cetera. On estime que dans l’agriculture française, 50% à 60% de sa consommation d’énergie totale est secondaire. Le parfait bilan énergétique est donc très difficile à faire, car il faudrait prendre en compte la consommation directe des agriculteurs, comme leur consommation indirecte, pour tous leurs fournisseurs, et les fournisseurs des fournisseurs, et ainsi de suite…
La notion d’efficacité énergétique
Le fait est que l’agriculture est un secteur d’activité un peu spécial. En fait, on pourrait considérer que l’agriculture consiste à produire… de l’énergie ! Oui, mais pas n’importe quelle énergie, puisqu’on parle des calories que contiennent les aliments en bout de course. Ainsi, la notion de bilan énergétique en agriculture, ou d’efficacité énergétique, prend un sens particulier puisqu’on peut faire la différence entre les calories utilisées (on ne compte alors que les énergies non-renouvelables) et les calories produites.
Autre spécificité : quand l’agriculture consiste à produire des végétaux, elle fait partie des rares activités humaines dont le bilan peut être positif, dans la mesure où elle bénéficie de la photosynthèse effectuée par les plantes, soit un apport énergétique automatique et gratuit… Même si, dans les faits, les fermes à bilans positifs sont minoritaires.
Ainsi, la notion d’efficacité énergétique serait le meilleur indicateur pour se composer un menu “vraiment écolo”. Malheureusement, cet indicateur est rare, car plutôt difficile à calculer, pour les raisons évoquées dans le paragraphe précédent…
De l’énergie gratuite et (presque) inépuisable ? Les plantes nous en offrent chaque jour.
Comment se faire un menu “énergétiquement décroissant” ?
C’est là que les ennuis commencent. Sur le sujet, les chiffres et les études de grande ampleur ne sont pas assez nombreuses. Les résultats, parfois contradictoires. Néanmoins quelques grands principes peuvent se dégager.
D’abord, les exploitations spécialisées en grande culture sont les plus consommatrices d’énergie, car elles font grand usage de tracteurs, de moissonneuses, d’arracheuses, etc. Ainsi le blé, le maïs ou la betterave sont des aliments assez coûteux en énergie. Au contraire, nos lecteurs dionysiaques seront peut être ravis d’apprendre que la viticulture est l’activité la moins intensive en énergie. Buvez du rouge : c’est bon pour la planète !
D’une façon générale, l’élevage est moins efficace que la production végétale. En effet, une partie de l’énergie investie dans la culture sera forcément consommée par les animaux eux-même ; ils respirent, ils digèrent, ils se déplacent, ils émettent de la chaleur, bref, ils consomment et dissipent de l’énergie… Ainsi, on estime que selon les espèces, il faut utiliser 6 à 9 calories végétales pour élaborer une calorie animale. Une sorte de gâchis.
Tous les animaux ne sont pas à mettre sur le même pied pour autant. En moyenne, les élevages en bâtiments sont les plus gourmands en énergie ; il s’agit à 70% d’électricité, utilisée pour chauffer et ventiler ces espaces fermés. Mieux vaut donc consommer des animaux élevés en plein air. Les élevages porcins sont d’assez mauvais élèves, puisqu’en France, 99% des cochons sont élevés en intérieur. De même, les élevages de volaille de chair sont très énergivores. Mais selon les pratiques, selon le contexte, la consommation énergétique peut varier de 1 à 3 entre les élevages les plus économes et les plus gourmands.
Alors, finalement, que mettre au menu pour avoir un repas vraiment décroissant ? De toute évidence, on évite les protéines animales. On privilégie les fruits et les légumes frais. Bref. La carotte, c’est bien. Mais là encore, il y a carotte et carotte.
La carotte bio et locale, forcément meilleure ?
Qu’il serait bon d’avoir des repères stables et univoques pour s’orienter dans la jungle des étalages… Mais encore une fois, nous risquons d’être déçus !
Prenons d’abord le label bio. Il signifie que notre carotte a été cultivée sans engrais ni pesticides chimiques. Donc, apparement, elle a “coûté” moins d’énergie. Sauf que… Dans les faits, la question est très subtile, mais rien ne montre (de façon générale et indiscutable) que les exploitations bio consomment moins d’énergies non-renouvelables, car elles compensent généralement l’absence de produits chimiques par un niveau élevé de mécanisation.
Deuxième réflexe : choisir une carotte locale, en circuit court. Après tout, le choix paraît logique si l’on cherche à réduire la facture énergétique du transport. Sauf que… Dans les faits, le transport ne compte que pour une faible part dans l’impact écologique de la carotte – selon les sources, entre 4% et 10% de l’empreinte carbone. Par ailleurs, les systèmes de circuits courts sont généralement moins efficaces que les vieilles chaînes logistiques bien établies ; pour résumer, mieux vaut un gros camion bien rempli que plusieurs agriculteurs en petites camionnettes qui vont livrer directement des magasins ou des particuliers… Un article du Guardian (en anglais) nous fournit quelques exemples savoureux. Saviez-vous que conduire 10km jusqu’au supermarché émettait plus de CO2 que d’envoyer un sac de haricots verts du Kenya jusqu’en Europe ? Autre exemple : pour un consommateur britannique, en hiver, mieux vaut acheter des laitues importées d’Espagne que des laitues locales, qui doivent nécessairement pousser sous des tunnels chauffés. C’est contre intuitif. Mais indiscutable.
La quête de la carotte parfaite s’avère donc horriblement compliquée ! Nous savons, néanmoins, quels éléments prendre en compte. Ils sont subtiles et nombreux. Malheureusement, il n’existe pas de réponse simple – que des réponses simplistes…
Une moissonneuse batteuse peut consommer 700 litres de carburant en une journée.
Des pistes pour une agriculture plus efficace
Au bout de notre analyse, nous comprenons une chose importante : en terme d’alimentation, le consommateur n’a pas beaucoup de pouvoir. Le sujet est trop vaste. Il lui manque trop de temps, trop d’informations. Ce n’est pas grâce à ses choix éclairés qu’il pourra transformer le secteur agricole et l’orienter dans un sens plus responsable.
La réponse devrait venir du secteur agricole lui-même. Bonne nouvelle : la quête de l’efficience énergétique n’est plus marginale. La plupart des professionnels en sont bien conscients, et l’Etat lui-même (par l’intermédiaire de l’ADEME) donne des conseils pour aider les fermes à baisser leur consommation d’énergie.
Parmi les pistes suggérées : simplifier le travail du sol (labourer moins souvent, travailler la terre moins en profondeur), éviter les grandes cultures en plein champs et favoriser les associations de cultures complémentaires, investir dans les technologies économes en énergie (notamment des récupérateur-échangeurs de chaleur), etc. Avec ce plan, l’ADEME vise un objectif ambitieux : réduire la consommation globale d’énergie du secteur agricole de 26% à 43% d’ici 2050.
C’est faisable. C’est souhaitable. Et c’est ainsi que notre carotte sera vraiment durable.
Si vous avez aimé notre article, découvrez les autres épisodes de la série « Kiki consomme le moins » !
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Benjamin
concepteur-rédacteur
Publié le 06 août 2020